Nature takfiriste des wahhabites
Bien que les wahhabites nient appartenir au takfirisme et aient avancé des arguments pour se défendre – tous contestables et incompatibles avec leurs propres déclarations et pratiques –, les paroles de leurs dirigeants et les actions de leurs adeptes prouvent que le wahhabisme incarne une forme de salafisme takfiriste. Le salafisme takfiriste désigne les courants salafistes qui considèrent comme « mécréants » (kuffar) tous ceux qui s’opposent à leurs idées. Au début de l'Islam, les Kharijites peuvent être considérés comme takfiriste de ce type, tandis qu’à l’époque moderne, le wahhabisme en est l’illustration contemporaine.
Position générale des wahhabites sur l’accusation de takfirisme Les wahhabites affirment que leurs détracteurs accusent les wahhabites qu'ils considérent tous ceux qui ne partagent pas leurs doctrines comme « mécréants » (kufr), pour cette raison ils les assimilant ainsi aux Kharijites (extrémistes de l’islam primitif). Pour se défendre, ils soutiennent que cette accusation est fausse. Ils se présentent comme des musulmans hanbalites, strictement attachés à l’islam « authentique » du Coran et de la Sunna. Selon eux, leur mouvement est né dans un contexte où les croyances et pratiques de la société ressemblaient à « l’idolâtrie de l’époque préislamique (Jahiliya) ». Ainsi, les oulémas de La Mecque et du Najd, suivant Muhammad b. Abd al-Wahhab (fondateur du wahhabisme), considèrent que quiconque prononce les deux témoignages (ash-Shahâdatayn) est musulman et ne peut être excommunié.
Cependant, Muhammad b. Abd al-Wahhab lui-même jugeait « mécréants » ceux de ses contemporains qui se contentaient de réciter « La ilaha illa Allah » (Il n’y a de dieu qu’Allah) sans accepter les autres aspects de la religion(((1))).
Défense de Muhammad b. Abd al-Wahhab face aux accusations de takfir Dans une lettre adressée au cheikh Abd ar-Rahman as-Suwaydi, un érudit de Bagdad, Muhammad b. Abd al-Wahhab s'explique sur sa position concernant le takfir (excommunication) :
« En ce qui concerne le takfir (l'excommunication), je ne déclare mécréant que celui qui, ayant pleinement connu la religion du Messager de Dieu (ﷺ), la renie ensuite, en détourne les gens et s'oppose à ceux qui la pratiquent. C'est cette catégorie de personnes que je considère comme mécréantes. Et louange à Dieu, la majorité de la communauté musulmane ne fait pas partie de cette catégorie. » (((2)))
Critique de la défense wahhabite
Les arguments avancés pour blanchir la secte wahhabite et son fondateur constituent une fuite face à la réalité. Car tout d’abord, qui sont les ennemis du wahhabisme autres que les musulmans qui ont été la cible d’excommunication de la part de cette secte depuis sa création jusqu’à nos jours, et cela en soi est un aveu que le wahhabisme et son fondateur ont et continuent d’excommunier les musulmans ?
L'existence même de ces opposants - des musulmans non-wahhabites - et leur hostilité envers le wahhabisme provient précisément de cette excommunication par Muhammad b. Abd al-Wahhab et sa secte.
L'affirmation selon laquelle la simple prononciation des ash-Shahâdatayn suffirait pour être considéré comme musulman selon les wahhabites ne correspond ni à leurs croyances ni à leurs pratiques. En effet, tous ceux qui croient en l'intercession (ash-Shafâ'a), at-Tawassul, la recherche de bénédiction (Tabarruk) et la visite des tombes des prophètes (a) et saints qui disent ash-Shahâdatayn avec plus de conviction encore que les wahhabites, et y croient sincèrement. Pourtant, le wahhabisme les considère comme polythéistes et non-musulmans. C'est précisément sur cette base que Muhammad b. Abd al-Wahhab a lancé son mouvement.
Les justifications avancées par ibn Abd al-Wahhab dans sa lettre ne reposent sur aucun fondement rationnel. En effet, celui qui est réellement hostile à l'islam, l'insulte et empêche les gens d'y adhérer n'a même pas besoin d'être excommunié - son incrédulité étant évidente pour tous, conformément aux définitions coraniques et prophétiques du kufr. Le rejet des principes essentiels de l'islam constitue en soi une apostasie, sans qu'il soit nécessaire de créer tout un mouvement pour le proclamer. Mais la réalité historique contredit radicalement les prétentions d'ibn Abd al-Wahhab. L'histoire tumultueuse du wahhabisme et les écrits mêmes de son fondateur invalident totalement le contenu de cette lettre.
Défense du cheikh Abd al-Latif concernant son ancêtre Le cheikh Abd al-Latif, fils du cheikh Abd ar-Rahman et descendant de Muhammad b. Abd al-Wahhab, tente de dissocier le wahhabisme de l’accusation de takfir en déclarant :
« Prétendre que les wahhabites cherchent à excommunier les autres et ne combattent que ceux qui s’opposent à eux est un mensonge... Aucune personne raisonnable connaissant le cheikh [ibn Abd al-Wahhab] n’accepterait une telle idée. Certes, nous excommunions les innovateurs (ahl al-bidʿa) comme les Qadariyya, les Jahmiyya, les Rafida [chiites], les Kharijites, etc. Mais Muhammad b. Abd al-Wahhab ne s’est jamais séparé de la communauté musulmane ni éloigné des Ahl al-Sunna wal-Jamaʿa. Son appel se limitait à inviter les gens à l’unicité divine (at-Tawhid) dans les noms et attributs de Dieu, ainsi que dans les actes d’adoration – un principe sur lequel tous les musulmans s’accordent. »(((3)))
Concernant l’accusation selon laquelle ibn Abd al-Wahhab aurait excommunié l’ensemble des territoires musulmans, Abd al-Latif rétorque :
« C’est également un mensonge. Aucun musulman, encore moins un savant religieux, ne tiendrait un tel discours. Les propos de Mohammed ibn Abd al-Wahhab visaient uniquement ceux vivant dans des cités polythéistes – ceux qui adorent les prophètes, les anges ou les saints, les associent au Coran, ou leur attribuent un pouvoir surnaturel (comme les extrémistes [ghulat] ou les adorateurs de tombeaux [Qubûrîyyûn]). Ce sont eux qu’il a excommuniés : ceux qui placent des intermédiaires entre Dieu et les hommes, recherchent des intercesseurs, ou demandent leurs besoins à autre qu’Allah. »(((4))) Critique des déclarations du cheikh Abd al-Latif
Ces justifications et interprétations non seulement échouent à dissiper l'accusation de takfirisme contre le wahhabisme, mais la confirment au contraire. D'abord, le mouvement de Muhammad b. Abd al-Wahhab est né dans une région où tous les habitants étaient des musulmans pratiquants - accomplissant la prière, le jeûne, le pèlerinage et suivant scrupuleusement l'une des quatre écoles sunnites. Il n'y avait là ni Jahmiyya, ni Qadariyya, ni autres sectes déviantes, mais uniquement des sunnites. Pourtant, ibn Abd al-Wahhab les a excommuniés pour imposer sa propre doctrine. Ensuite, les guerres wahhabites (qu'ils appellent "ghazwât") ont toutes été menées contre des sunnites traditionnels - les groupes mentionnés comme cibles théoriques (Jahmiyya, Qadariyya, Kharijites ou même Rafidha) étant absents des zones de leurs conquêtes.
Il ne fait aucun doute que le concept de Tawhid (unicité divine) dans les noms et les attributs de Dieu ainsi que le Tawhid dans l'adoration est un consensus parmi tous les musulmans. Cependant, les wahhabites ont utilisé ce principe comme prétexte pour massacrer des musulmans en raison de leurs croyances en l'intercession, la recherche de bénédiction (tabarruk), la visite des tombes (ziyarat), et autres pratiques similaires. Ce fait est pleinement documenté et reflété dans des ouvrages historiques tels que Tarikh Najd ("Histoire du Nadjd"), ‘Unwan al-Majid fi Tarikh Najd ("Le Titre Glorieux dans l'Histoire du Nadjd"), et d'autres textes historiques rédigés par les wahhabites eux-mêmes, qui sont indéniables. De plus, Cheikh Abd al-Latif, intentionnellement ou non, a explicitement mentionné ce point dans sa défense, annulant ainsi implicitement sa propre justification de la secte wahhabite. En effet, lorsqu'il explique pourquoi Muhammad b. Abd al-Wahhab a déclaré les villes des musulmans comme étant des villes des infidèles, il affirme clairement que ce dernier a considéré apostats les villes où résidaient des "polythéistes" – ceux qui adoraient les prophètes, les saints, les anges, demandaient leurs besoins à travers eux, et reconnaissaient des intercesseurs entre Dieu et les hommes.
Évidemment, il est clair que ces "polythéistes", aux yeux de ce cheikh wahhabite, ne sont pas des chrétiens, des juifs ou des idolâtres hindous. Il fait plutôt référence aux musulmans non-wahhabites qui croient en ces pratiques religieuses. Cependant, les wahhabites interprètent ces convictions selon leur propre jugement sélectif et les qualifient d'"adoration". Alors qu'en réalité, aucun musulman ne considère respecter et honorer les prophètes ou demander leurs besoins à travers eux comme un acte d’adoration. Selon la perspective wahhabite, tous les musulmans qui pratiquent ces formes de dévotion religieuse sont traités comme des polythéistes et, par conséquent, considérés comme passibles de mort. C'est pourquoi toutes les guerres menées par les wahhabites étaient dirigées contre les musulmans.(((5))) Et même aujourd'hui, leurs conflits avec les musulmans se poursuivent sous différentes formes et groupes armés.
Références
- Dâhir, Muhammad Kâmil, Ad-Da‘wat al-Wahhâbîyya wa Atharuhâ fî al-Fikr al-Islâmî al-Hadîth, pp. 166-167, Beyrouth, Dâr as-Salâm li at-Tibâ‘a wa an-Nashr, 1ʳᵉ éd., 1414 H / 1993 M.
- Dâhir, Muhammad Kâmil, Ad-Da‘wat al-Wahhâbîyya wa Atharuhâ fî al-Fikr al-Islâmî al-Hadîth, pp. 167, Beyrouth, Dâr as-Salâm li at-Tibâ‘a wa an-Nashr, 1ʳᵉ éd., 1414 H / 1993 M.
- Ad-Da‘wah al-Wahhâbîyya wa Atharuhâ fî al-Fikr al-Islâmî al-Hadîth, pp. 167-168.
- Ad-Da‘wah al-Wahhâbîyya wa Atharuhâ fî al-Fikr al-Islâmî al-Hadîth, p. 168.
- Alîzâdih Mûsavî, Sayyid Mahdî, Salafîgarî wa Wahhâbiyyat (Tabârshenâsî), vol. 1, pp. 94-95, Qom, Daftar-e Tablîghât-e Islâmî-ye Hawza-ye ‘Ilmiyya-ye Qom, Mo‘âwenat-e Farhangî-ye Tablîghî, 1ʳᵉ éd., 1391 Sh.